Je vous ai déjà parlé, il y a trois ans (j’avais initialement écrit deux, diantre comme le temps bloguesque file), de la façon dont Elizabeth Gilbert, ses livres, ses paroles et ses actes avaient changé ma vie (retrouvez l’article ici).
Comme je le raconte à la fin de l’article, si j’ai suivi scrupuleusement ses publications pendant un ou deux ans, j’ai fini, peu à peu, par me détacher de cette fascination qu’elle exerçait sur moi, et à filer sur mon propre chemin, avec d’autres modèles de la littérature ou de la culture en général.
Aussi, quelle ne fut pas ma surprise lorsque, en faisant défiler mon fil instagram le 6 juin dernier, j’ai été percutée par son message du jour. J’ai eu une longue période sans fréquenter instagram, la plupart du temps je consultais uniquement les story (j’avais besoin d’éphémère, je crois). Mais ce jour-là, j’étais posée et j’avais du temps devant moi. Assise dans un parc, je flânais sur mon téléphone en profitant des rayons du soleil. C’était ce moment précis et pas un autre, un petit alignement de planètes pour m’apporter un message que j’avais absolument besoin de lire. Comme toujours pour ces choses, la fenêtre temporelle pour cette révélation était si mince qu’elle aurait pu aussi bien ne pas se produire et, chaque jour, lorsque je me répète les mots issus de cette leçon, je suis si grateful que mes yeux se soient posés sur eux ce jour-là.
Dans ce message, Elizabeth Gilbert parle du décès de sa compagne Rayya et de la façon dont elle fait face au deuil qui la traverse depuis le début de l’année.
J’ai commencé à être happée par ce paragraphe qui faisait cruellement écho à ce qu’avait été ma vie au cours des semaines écoulées :
On me demande sans cesse comment je vais, et je ne suis pas toujours sure de comment répondre. Ça dépend des jours. Ça dépend des minutes. À cet instant précis, je vais bien. Hier, pas terrible. Demain, je verrai bien.
Ça faisait déjà quelque temps que j’avais arrêté de répondre au banal « Ça va ? », parce qu’il m’insupportait de continuer à répondre oui quand j’aurais voulu répondre ma vie professionnelle m’étouffe, mon logement ne me convient pas et ma vie sentimentale se fout de ma gueule. Certains jours, ça allait suffisamment pour sourire, d’autres j’aurais pu pleurer en plein milieu du terrain de foot, d’autres encore j’ai donné des coups de poing dans les murs à m’en faire des bleus. J’étais incapable de répondre « ça va », même si les conventions sociales auraient voulu que je m’y plie sans broncher. Alors la plupart du temps j’ignorais la question et me contentais de dire bonjour. Parfois je haussais simplement les épaules. Jamais personne ne m’a fait remarquer que je ne répondais pas.
Vient ensuite ce paragraphe, où Liz fait le rapprochement entre le deuil et l’amour :
J’ai appris que le deuil est une puissante énergie qui est incontrôlable et imprévisible. Il va et vient selon son propre agenda. Le deuil n’obéit ni à vos plans ni à vos souhaits. Le deuil vous fera subir tout ce qu’il aura envie, quand il en aura envie. À cet égard, le deuil ressemble à l’amour.
C’est là qu’il m’a fallu quelques secondes pour reprendre mon souffle. Il y a des mots, comme ça, qui sont un direct du droit dans la poitrine. Quand on les reçoit, leur force nous renverse. Leur force, mais aussi leur simplicité. Si je savais pertinemment ce qui n’allait pas chez moi depuis quelque temps, ça ne m’est jamais apparu aussi limpidement qu’à cette lecture. Et de l’identifier, de comprendre pourquoi ma tête était sens dessus dessous et que j’avais l’impression de me débattre en vain, ça a aussi été l’occasion de tout lâcher, de me libérer, de me soulager d’un poids que, de doute façon, je n’arrivais pas à porter.
En avril, l’une d’entre vous m’avait écrit en commentaire : « Je crois que celui que tu attends viendra bientôt ». Je ne sais pas d’où lui était venue son intuition, comment a-t-elle pu savoir alors que même moi je ne le savais pas encore, c’est un mystère. L’article sur lequel elle a commenté parlait, à demi-mot, d’un évènement qui m’avait rendue heureuse en me submergeant d’une vague d’émotions positives si fortes que, lorsque la vague est passée, je me suis retrouvée démunie. J’ai compris avec le recul que cet évènement était cette personne « que j’attendais », qui avait déboulé dans ma vie comme une comète dont la queue a ensuite mis de longues semaines à se consumer, brillant autour de moi comme une myriade d’étoiles qui m’éblouissait et me brulait à la fois.
Il avait suffi d’un message, un seul, et j’étais sous le charme, même si j’ai mis du temps à le reconnaitre et à l’accepter. Le trouble dans lequel cela m’a plongée a été d’une force inouïe : j’ai rarement été aussi tiraillée de toute ma vie.
L’aboutissement de tout cela, vous le connaissez : c’est l’histoire du muguet. Et même si j’ai voulu terminer cet article-là sur une note positive, la vérité c’est que la déception m’avait mise à terre, et que dès que j’essayais de me relever, ne serait-ce que pour me mettre à genoux, elle me renvoyait au sol avec toute la violence dont elle était capable.
Désormais, grâce au message d’Elizabeth Gilbert, je sais pourquoi. Je comprends cette force, cette violence. C’était le deuil d’une relation mort-née. C’était le deuil qui s’intercalait avec l’amour. Un mélange des deux contre lequel j’ai lutté, de toutes mes forces, pendant un mois, et qui m’a vidée sans relâche. Parce que le deuil, selon Liz, est un véritable tsunami auquel on ne peut pas échapper. Tout ce qu’on peut faire, c’est s’incliner devant lui et le laisser nous traverser.
Comment survit-on au tsunami du deuil ? En étant disposé·e à le vivre, sans résister. En consentant à en ressentir l’intégralité. En étant prêt·e à accepter l’inacceptable.
La suite du message est une conversation imaginaire entre Liz et son deuil, dans laquelle celui-ci insiste sur l’absence de Rayya et tout ce que ça implique. Et, au lieu de se laisser emporter par la lourdeur de ces pensées, Liz répond : I am willing. Je l’accepte.
Le Deuil me dit « Tu n’aimeras jamais personne d’autre comme tu as aimé Rayya. »
Et je lui réponds : « J’accepte que cela soit vrai. »
« Elle est partie et elle ne reviendra jamais »
« J’accepte que cela soit vrai. »
« Tu ne la verras plus jamais franchir le seuil de cette porte. »
« Je l’accepte. »
« Tu n’entreverras plus jamais sa sagesse. »
« Je l’accepte. »
« Tu n’entendras plus jamais son rire. »
« Je l’accepte. »
À la fin de ce fameux article, je concluais par « L’espoir est bref ». Que ces mots me font rire jaune à présent. L’espoir est tout sauf bref. L’espoir est tenace. L’espoir est une sangsue. L’espoir vous tenaille. Il est cette force stupide qui, quand les aiguilles sont dans le rouge et qu’un signe STOP vient vous fracasser la tête toutes les deux minutes, vous fait continuer à avancer malgré vous. Contre l’ouragan et contre la marée, il vous force à avancer. Ça suffit maintenant ! dit le cerveau. Oui, mais… répond l’espoir. L’espoir me faisait m’accrocher à cette relation mort-née en réaction aux paroles du deuil. « Tu ne rencontreras jamais quelqu’un d’autre comme lui ». « Tu vas rester amoureuse de lui toute ta vie ». « Tu ne pourras jamais l’oublier ». « Tu seras incapable de passer à autre chose ». « C’est lui et personne d’autre ». L’espoir me forçait à m’agripper parce que je ne pouvais vraiment pas passer à côté de tout cela. L’espoir me disait de tenir bon, que c’était si fort, que j’étais si sure que ça ne pouvait pas ne pas finir par se produire. L’espoir me disait que ça valait la peine d’attendre et de souffrir. L’espoir me faisait guetter chacun de ses messages dans une lente agonie. L’espoir m’a anéantie à petits feux. Fin mai, il ne restait plus rien de moi. Plus rien sauf cet espoir insensé et ses couteaux dans ma chair.
J’ai lutté contre ces phrases, j’ai lutté contre l’espoir, j’ai lutté si fort. Jusqu’au 6 juin dernier.
Le 6 juin dernier, j’ai commencé à leur répondre :
I AM WILLING
Et ça a tout changé.
« Tu ne rencontreras jamais quelqu’un d’autre comme lui. »
Je l’accepte.
« Tu vas rester amoureuse de lui toute ta vie. »
Je l’accepte.
« Tu ne pourras jamais l’oublier. »
Je l’accepte.
« Tu seras incapable de passer à autre chose. »
Je l’accepte.
« C’est lui et personne d’autre. »
Je l’accepte.
C’est une véritable libération. Depuis, chaque jour qui passe, ces trois mots ne sont jamais loin dans mon cerveau. Chaque jour qui passe, je suis un peu plus en paix avec ça. Dès que je suis sur le point de resombrer, je me murmure : I am willing. C’est un gigantesque soulagement. C’est une authentique reddition.
J’accepte de capituler devant le fait que je ne comprendrai jamais rien de tout cela. Je suis même disposée à accepter que je ne guérisse peut-être jamais complètement de la disparition de Rayya.
J’ai arrêté de lutter et depuis, seulement depuis, j’ai commencé à gagner. Gagner des forces. Gagner du courage. Gagner de la motivation. Gagner des perspectives. Je me suis enrichie d’avoir capitulé devant le deuil. J’ai déposé les armes à ses pieds, je lui ai dit, d’accord, tu as raison. Je vais peut-être mettre encore de longs mois à me remettre de cette rencontre, je vais peut-être même mettre toute ma vie. Et tu sais quoi ? Ce n’est pas grave. Je l’accepte. I am willing.
Et depuis, seulement depuis, je me sens capable de passer à autre chose tout en continuant d’accepter la vérité de ces phrases.
Parfois dans la tempête, il faut simplement être l’arbre qui tient debout et se laisser balloter par le souffle du vent.
Voilà comment, une fois de plus, Elizabeth Gilbert a marqué un tournant dans ma vie pour lequel je lui serai éternellement reconnaissante. Grâce à tout cela, la perspective de mon été est bien plus rayonnante qu’elle ne l’était il y a encore un mois. J’ai enfin jeté le muguet fané. J’ai repris pied. Je fais des vrais sourires. J’ai recommencé à écrire. Je prépare un nouveau déménagement. Je fais des projets. Je me découvre à travers d’autres modes de vie. Je prends les choses avec plus de tranquillité. Et avec plus de… oh, tiens ? D’apaisement. N’était-ce pas l’objectif vers lequel je voulais tendre pour 2017 ? Un an et demi après, mieux vaut tard que jamais !
Et si maintenant on s’attaquait à mon mantra de 2018, l’épanouissement ?
le « j’accepte » est sans doute ce qu’on appelle « le lâcher-prise » et qu’est-ce que je suis contente pour toi!
merci pour ce texte et merci à liz à travers toi
des gros bisous, cléa
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il me semble que le « j’accepte » est encore différent du « lâcher-prise », bien qu’il se rejoignent. Comme je le vois, le lâcher-prise tend plutôt à se détacher de quelque chose auquel on était agrippé et qui nous retenait comme un boulet. Tandis que le j’accepte, c’est plutôt embrasser cette chose, l’inhaler, la recevoir comme une partie intégrante de nous-même et s’envoler avec elle…
bises !
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Tout à fait d’accord avec cette ‘nuance’ qui éclaircit bien le propos! Une fois de plus merci à toi, cléa et gros bisous
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Très beau texte Cléa. J’aime moi aussi beaucoup les mots d’Elizabeth Gilbert.
Un deuil n’est jamais linéaire et il n’est le même pour personne. L’acceptation ouvre la porte à une nouvelle réalité. Nous ne pouvons pas et ne pourrons jamais tout comprendre. Mais nous pouvons accepter et cette acceptation peut devenir notre force.
On te sent pleine d’enthousiasme -je te souhaite de t’épanouir dans ces nouveaux projets Cléa.
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« Une nouvelle réalité », c’est parfaitement ça Marie, comme toujours tu as les mots ! Oui, c’est une force.
Merci Marie ❤
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Encore un bel article, plein d’espoir et de perspectives… Ca fait plaisir à lire !
Je me retrouve également dans le paragraphe « On me demande sans cesse comment je vais, et je ne suis pas toujours sure de comment répondre. Ça dépend des jours. Ça dépend des minutes. À cet instant précis, je vais bien. Hier, pas terrible. Demain, je verrai bien. », mais j’ai un peu honte de ressentir ça par rapport au deuil qu’elle doit affronter…
En tout cas, j’ai hâte de voir ce que ton nouvel élan te réserve 🙂
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Merci Anousha !
Il y a différentes formes de deuil et de peines en général, chacun·e son lot, il n’y a pas réellement de comparaison possible. J’ai aussi eu ce moment de culpabilité en me disant « quand même, tu identifies ton chagrin d’amour à son véritable deuil, c’est un peu exagéré »… Puis finalement si sa réaction face à sa douleur m’aide à affronter la mienne, n’est-ce pas à prendre tout autant ? Si ces mots sont partagés publiquement, c’est aussi pour qu’ils accompagnent d’autres blessures. tout ça pour dire que tu as tout à fait le droit de te retrouver dans ce paragraphe ❤
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Bouleversant! J’avais aussi besoin de lire ce texte. Un peu pour moi et mes vieux deuils dont la vague s’atténue, mais aussi pour un personnage. Et pour l’avenir aussi, les prochains tsunamis. Merci. «Grief will bring you down to your knees. I say : let it.» Alyssa Monks, TedTalk.
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Je suis très touchée alors, que ce texte te soit parvenu quand tu en avais besoin !
Oui, il est à garder près du cœur pour les prochains tsunamis.
Bonne continuation à ton personnage, alors 🙂
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Voilà! Mais accepter prend beaucoup de temps…. et le deuil est dur à avaler!
Je ne connais pas Elisabeth Gilbert.
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Il me semble que les choses les plus importantes de la vie prennent toujours beaucoup de temps…
Je ne sais pas si tu aimerais son style, mais en tout cas sa vision de la vie est enrichissante (de mon point de vue).
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